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137527 février 2006 — Des lecteurs (voir ‘Flo’ et ‘FrenchFrogger’ sur le Forum du 26 février) nous avaient signalés hier la parution à Londres d’un article du Financial Mail sur l’ “affaire JSF” qui pourrait devenir l’“affaire JSF-Rafale” : « Britain may consider buying up to 150 [Rafale] French fighter jets for two new-generation aircraft carriers scheduled to go into service with the Royal Navy in 2013. If the Government went ahead with the £5bn deal, it would mean cancelling existing US contracts to supply aircraft for the carriers and could cause a major crisis in Anglo-American relations. »
Le MoD britannique a réagi (selon Reuters) en qualifiant les informations du journal de « spéculations » (mot beaucoup plus proche d’une confirmation implicite que d’un démenti). Plus personne ne peut donc ignorer qu’il se passe quelque chose entre Américains, Britanniques et Français, dans un débat jusqu’alors anglo-américain. Ce “quelque chose” reste néanmoins discret, et l’affaire du Financial Mail n’a guère été relayée par le reste de la presse. Manifestement, les autorités britanniques ont plutôt passé la consigne de la discrétion, une fois l’effet obtenu par l’article du Financial Mail. (Ce silence, cette discrétion sont une indication incontestable par rapport aux habitudes britanniques : quand on se tait sur une question aussi importante à Londres, c’est qu’il y a des événements graves.)
Nous avions largement signalé l’hypothèse de Richard North, à la suite de la rencontre du 24 janvier 2006 entre Reid (UK) et Alliot Marie (France). North estimait qu’un accord secret franco-britannique avait été conclu, expliquant les conditions inattendues de l’accord “ouvert” sur le porte-avions, que l’accord secret portait sur l’éventuelle acquisition de Rafale en cas de sortie des Britanniques du programme JSF. North allait plus loin, en jugeant qu’en fait le gouvernement Blair manœuvre d’ores et déjà pour sortir du JSF sans trop de dégâts, en prévoyant un repli vers les français. North réagit à l’article du Financial Mail d’hier, d’ailleurs avec une émotion mal continue dans le titre: « I knew it… I just knew it! », sur son site EU Referendum à la date du 26 février.
L’article du Financial Mail doit être considéré avec toutes les réserves d’usage, et encore plus si nécessaire. Que la position britannique de considérer l’éventuelle offre des Français soit une pression exercée sur les USA ne fait aucun doute. C’est le fameux “Plan B” dont il est si question aujourd’hui dans toutes les affaires pourries (le référendum, le JSF, etc.) qui encombrent la vie des relations internationales. Lord Grayson, chargé des acquisitions au MoD, a déjà annoncé l’année dernière, dans cette affaire du JSF où les relations USA-UK ne cessent de se tendre: « There has to be a Plan B. We need to make sure we have done the work needed to ensure we have an option. » Au reste, comme le faisait remarquer notre lecteur (‘Flo’) cité en tête de cet article, l’annonce de l’intérêt britannique est d’abord un moyen de pression sur les USA. L’article ne le cache pas: « The MoD still hopes that the Americans will change their minds. Meanwhile, it is looking at its options. Giving consideration to the French offer could strengthen the MoD's negotiating hand with Washington. »
Mais, comme nous le répètent ceux qui se méfient (à juste titre) des Britanniques, ces mêmes Britanniques ont toujours au moins deux options, deux politiques, deux plans lorsqu’ils agissent. (Souvent plus, ces derniers temps, trois, quatre, — si bien que l’habileté finit par déboucher sur la confusion. Enfin…) Par conséquent, l’intérêt pour le Rafale ne doit pas être considéré comme seulement destiné à faire pression sur les US, — ou alors, les Britanniques ne sont plus les Britanniques, — et alors, pourquoi continuer à se méfier d’eux?
Même si certains peuvent avancer que tout cela est bien virtuel, voir virtualiste, ils devront se rappeler que nous sommes dans un univers largement virtualiste. Dans ce cadre, cette remarque du Financial Mail est tout à fait acceptable, — elle est peut-être même plus fondamentale qu’on ne croit : « Even agreeing to give the proposal serious consideration could be seen as a major snub to the Americans, whose relations with the French on defence are strained »
C’est effectivement un événement considérable, cette annonce publique/semi-publique, à moitié démentie ou pas démentie du tout, de l’ “intérêt” britannique pour l’avion français. Bien entendu, l’événement mérite d’autres remarques. Nous allons nous y employer.
• Premier constat, qui est une confirmation : cela va vraiment très, très mal entre Américains et Britanniques sur ce dossier. Ce n’est pas du virtualisme, c’est du concret, du solide. Comment les habiles Américains, encensés pour avoir réussi une opération géniale (as usual avec eux) avec le JSF, peuvent-ils laisser se dégrader la poutre maîtresse de l’engagement international pour le JSF? Il faut vraiment que le blocage (ou l’aveuglement, ou bien les nécessités des montages des technologies avancées) soit verrouillé à Washington pour qu’on laisse la situation se dégrader à ce point. (Notre conviction est, bien entendu, que tous les autres pays non-US du programme retiennent leur souffle devant la bagarre USA-UK. Ils attendent la décision de Londres, en novembre, et il nous étonnerait que des engagements fermes dans le JSF, de la part de ces pays, soient pris avant novembre. Aujourd’hui, tout est concentré sur Londres-Washington.)
• Deuxième constat, qui est une évidence mais qui prend une allure significative lorsqu’il est exposé publiquement : les Britanniques sont complètement dépendants de l’étranger pour l’un des moyens essentiels de leur sécurité et de leurs forces armées. En attendant qu’un jour réussisse la coopération internationale et transatlantique, on appréciera l’intérêt d’une politique d’indépendance et de souveraineté nationale. Même si ceci est du domaine virtualiste, il s’agit d’une occurrence historique, et nous conseillons de la méditer avant d’appeler à la méfiance devant les manigances britanniques : jamais, depuis que l’aviation existe, les Britanniques n’ont (seulement) envisagé d’acheter un avion de combat de première ligne français (au contraire, les Français ont déjà volé sur Spitfire, sur Tempest, sur Vampire) ; tout juste ont-ils volé sur un avion de combat franco-anglais (le Jaguar).
• Troisième constat, une question cette fois : comment peuvent réagir les Américains? Il n’est absolument pas dit qu’ils prendront conscience du danger et réagiront en offrant des concessions. L’état d’esprit à Washington suggère plutôt le contraire : se montrer encore plus durs avec les Britanniques qui ruent dans les brancards. C’est cette crainte que traduisent les meilleurs amis britanniques des Américains, par exemple le porte-parole des conservateurs, qui est cité dans le Financial Mail (il réagit au contenu de l’article, ce qui l’authentifie d’autant plus) : « Gerald Howarth, Conservative defence spokesman, said: “This shows the danger of the American refusal to give us the technology. They could drive us into the arms of the French.” » (Là aussi: remarquable réaction, qui confirme qu’il y a unité nationale à Londres sur cette affaire, — donc que cela va vraiment très, très mal dans le dossier JSF.)
• Notre conviction est que la question du coût joue également un rôle essentiel, d’une façon générale, dans ces péripéties. Le Rafale est donné à £30 millions l’exemplaire dans l’article du Financial Mail. On sait que les Britanniques constatent avec horreur, aujourd’hui, qu’ils devraient payer entre $104 et $119 millions (autour de £60 millions) un JSF, s’ils l’achetaient aujourd’hui. Et demain ? Encore plus cher…
Notre suggestion est simple, pour proposer une conclusion : dans le dossier UK-USA du JSF, tout est désormais possible. Cela ne signifie rien d’autre, et pourtant c’est une nouvelle extraordinaire.
Il y a deux ans, trois ans, quatre ans, dix ans, personne dans la pensée conforme, surtout en France, n’envisageait une seconde que les Américains n’imposeraient pas leur avion partout, et d’abord aux Britanniques rangés vite fait au garde à vous. Les décisions de 2001 (UK) et de 2002 (Pays-Bas, Italie, Danemark, Norvège, etc.) de participer à la phase de développement du JSF furent accueillies sans broncher chez ces mêmes commentateurs. Tout se déroulait selon le plan prévu. L’affaire étant conclue, tout le monde volerait, dans un bonheur parfait et pasteurisé, sur JSF, — sauf ces pauvres crétins de Français (remarque en français dans le texte, dans des gazettes françaises), — ces Français si archaïques, comme on les dénonce aujourd’hui à Saint-Germain-des-Près.
Aujourd’hui, vous pouvez mesurer la valeur de ces appréciations en appréciant l’esprit de mort et de dévastation qui rôde autour du programme JSF. Et encore ceci : même si demain, en novembre-décembre 2006, les Américains arrivaient, à coups de fouet, à faire signer tout le monde, UK compris, cela ne ferait que commencer et vous pourriez encore attendre des sorties de crise (sorties de programme) en catastrophe.
Il nous reste quelques bons articles à écrire sur le cas.
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